Chapitre Premier
Vous voulez donc entendre mon histoire? Je vous avertis, celle-ci n’est pas une histoire des plus joyeuse, mais elle vaut la peine d’être racontée. Bien sûr, vous pouvez l’entendre de la plupart des bardes de ce pays. Malheureusement, ceux-ci ont tendance à altérer la réalité pour rendre l’histoire beaucoup plus dramatique qu’elle ne l’est. Ceux-ci vous diront que je vivais seul, mes parents ayant été tués dans ma jeunesse. Ils vous diront que les gens me méprisaient, qu’ils ne m’adressaient point la parole et que la saleté était ma maison et la folie, mon refuge.
Heureusement pour moi, ils ont tort d’un bout à l’autre. Je vivais tranquillement à Scordis, un petit village aux abords de la forêt de Dahud. Contrairement à ce que vous avez pu entendre, ma famille était encore vivante en entier, ce qui inclut donc : mon père, un ancien guerrier qui maintenant fabriquait des armes diverses pour le village, nommé Eogan, ma mère, Emer, belle et fière malgré qu’elle ne soit plus toute jeune, ainsi que mes deux jeunes frères, Rhys et Hoch.
Maintenant que vous connaissez le plus important, il est temps de commencer cette histoire. Quand commença-t-elle? Je dirais que le premier signe fut l’attaque des Romains. Ce peuple sans pitié, n’ayant aucune considération pour les autres, commençait déjà à soumettre les tribus environnantes. Feren, la ville la mieux fortifiée de la région, était tombée depuis un certain temps et nous appréhendions tous leur arrivée… Puis, commença la sécheresse : les fleuves devenaient rivières, les rivières, ruisseaux, et les ruisseaux s’asséchaient pour n’être que de minces filets d’eau cheminant lentement dans les forêts. De plus en plus, le précieux liquide se fit rare, ralentissant même les avancées romaines en nos terres.
Bien sûr, les druides ne restèrent pas inactifs. Chu’lainn, le druide le plus sage et le plus ancien de Scordis, pria longtemps Aine et Ancamna, déesses de la fertilité et de l’eau, mais sans résultat. Nous fîmes alors des offrandes à Lleu, lui offrant des outils précieux, des métaux et une partie de nos récoltes. Voyant que les cieux restaient indifférents, Chu’lain organisa une chasse pour capturer le plus grand, le plus fort et le plus gros sanglier de la forêt. Nos guerriers capturèrent un sanglier énorme, plus grand que tous les sangliers que j’avais vus dans ma vie, et Chu’lainn le sacrifia en offrande à Lleu… mais encore une fois, les chemins de l’Autremonde ne s’ouvrirent pas à lui.
J’appris alors, quelques jours plus tard, que j’avais été désigné. Cette journée m’est encore familière comme si tout était arrivé hier. J’affûtais tranquillement la pointe de ma lance aux abords de notre petit village, perdu dans mes pensées. Je ne pouvais pas séparer celles-ci de Deama… Elle était si belle, avec ses longs cheveux de la couleur du blé en été. La veille, je l’avais aidée à transporter du bois pour sa famille et depuis, mon esprit n’arrivait pas à oublier la douce odeur de son corps, la merveilleuse teinte de sa peau et le son exquis de sa voix.
J’étais donc assis à l’orée du village, regardant au loin, quand j’entendis des bruits de pas se rapprochant. Tournant la tête, je vis apparaître devant moi la grande silhouette voûtée de Chu’lainn, accompagné de ses deux acolytes. Le grand druide était un personnage pour le moins étrange : il semblait ne pas avoir d’âge, avait de longs cheveux gris et broussailleux et il portait toujours son ample toge foncée. Lorsqu’il vous fixait, ses yeux semblaient voir au-delà de votre esprit, il donnait l’impression de connaître tous vos secrets, vos aspirations et vos rêves. Ses acolytes, quant à eux, étaient actuellement deux frères plutôt ressemblant, moyens de taille et plutôt élancés. Malgré leur jeunesse, ils semblaient apprendre rapidement à ses côtés. On voyait facilement leur sagesse grandir de jour en jour. Chu’lainn pris alors la parole :
« Llandren, vous le savez, nous avons essayé de parler à Lleu, mais celui-ci semble sourd à nos suppliques. Après plusieurs nuits de méditation et de questionnement auprès des astres, il semble qu’il ne reste qu’une seule solution pour pouvoir sauver notre peuple de la destruction qui semble de plus en plus éminente : il faudra offrir la vie d’un des membres de notre clan à Lleu, afin que celui-ci...
- Et j’ai été choisi? Le coupai-je.
- Oui, le conseil des druides en entier vous a désigné, car vous nous semblez le plus apte du village : vous êtes encore jeune, vous êtes bien fait et habile au combat et vous avez maintes fois prouvé votre valeur, ce qui fait que vous seriez pratiquement parfait pour la tâche que vous aurez à accomplir, peu importe ce qu’elle sera. De plus, nous avons récemment observé plusieurs signes semblant vous désigner. Vous sentez-vous prêt?
- Plus que jamais, le choix que vous avez fait m’honore, moi et ma famille. Quand aura lieu la cérémonie?
- Dans deux cycles, vous serez escorté jusqu’à la clairière et en son centre aura lieu la cérémonie. D’ici-là, tâchez de vous préparer du mieux que vous le pouvez. »
Dit-il, en s’éloignant lentement. Alors que sa silhouette rétrécissait au loin, j’eus une pensée furtive pour Deama, mais elle fut bien vite remplacée par la vision de toute ma tribu m’acclamant et priant pour moi, en héros que j’étais devenu. Ceci me persuada de retourner au village, même si le soleil s’apprêtait à se coucher et que c’était le moment de la journée qui m’enchantait le plus.
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Ven 6 Avr - 21:03
